Premières navigations en Europe

 

L’usage d’embarcations remonte à une période très ancienne de la Préhistoire si l’on en juge par les colonisations d’îles ou de continents nécessitant la traversée d’un bras de mer. Elles remontent à au moins 50 000 ans, dans le Pacifique ouest (colonisation de l’Australie).

Premières navigations européennes

Avec quelles embarcations ?

LA COLONISATION DES ÎLES

En Europe, nous ne pouvons pas remonter aussi loin, car les îles actuelles étaient alors reliées au continent. La hausse de l’océan (+ 120 m) à partir de la fin de la dernière glaciation il y a 12 000 ans, les a progressivement isolées et nous a privés des littoraux de l’époque qui sont maintenant sous l’eau. Au large de la Bretagne, les premières occupations humaines des îles de Guernesey, Houat/Hoëdic, Groix, Belle-Île, sont pour la plupart datées du 7e millénaire avant notre ère (Mésolithique).

Des symboles gravés

Au Néolithique, la Grande-Bretagne connait une migration de population depuis le continent dès le début du 4e millénaire. A cette même période, le trajet parcouru par certains mégalithes dans l’actuelle région du Golfe du Morbihan, prouve le transport de charges lourdes par voies d’eau. De nombreux mégalithes morbihannais portent d’ailleurs des gravures interprétées comme des représentations de bateaux ou d’éléments de gouverne (rame, gouvernail). Leur signification exacte reste à comprendre… 

DE RARES VESTIGES

Que ce soit en mer ou dans les eaux intérieures, les seules épaves connues en relation avec ces premières navigations sont une cinquantaine de pirogues réparties sur toute l’Europe occidentale. Aucun vestige d’une autre embarcation n’a encore été découvert, bien qu’il soit certain qu’il en existait. On peut tout à fait imaginer des bateaux constitués de peaux posées sur une charpente légère en bois, des bateaux à coque revêtue d’écorce, des radeaux de troncs ou de fagots pour des déplacements plus limités, voire des bateaux de planches fendues assemblées (pour les périodes les plus récentes).

Des témoins fragiles

Toutes ces embarcations sont constituées de matériaux organiques périssables, ce explique probablement pourquoi elles ne sont pas retrouvées aujourd’hui, plusieurs millénaires après leur utilisation. Sans oublier que la récupération et la réutilisation de matériaux devait être fréquente dans les sociétés préhistoriques.

Exemples d’embarcations (1/2)

Les pirogues monoxyles

Au travers des ÂGES

Mésolithique (9 500/ 6 000 ans avant notre ère)

Les essences de bois tendres sont privilégiées : pin sylvestre, peuplier, tilleul, aulne.

Néolithique (6 000 / 2 200 ans avant notre ère)

Les outils de pierres polies sont plus efficaces, et le chêne, plus dur, commence à être utilisé.

âge du Bronze (2 200/800 ans avant notre ère)

L’utilisation du chêne, plus dur, devient majoritaire.

Des arbres exploités dépend le gabarit des pirogues finies :
La longueur est celle du tronc, de sa base aux premières branches maîtresses. Les pirogues retrouvées ne dépassent que rarement les 10 mètres de longueur.
La largeur est celle de la section de l’arbre, sans l’écorce et une partie du bois périphérique (l’aubier). Elle est souvent comprise entre 0,50 et 1 mètre.

Cette faible largeur ne semble pas permettre une stabilité suffisante pour la navigation en mer. Il est cependant possible de l’augmenter par différents procédés :
1/ l’élargissement en force et à chaud des flancs de la pirogue (pirogues expansées) 
2/ l’accolement de deux pirogues bord-à-bord ou éloignées de quelques mètres par un bâti de transport.
3/ l’ajout de stabilisateurs de chaque côté de la pirogue à la ligne de flottaison (demi tronc, par exemple).
4/ l’ajout de stabilisateurs éloignés de la coque et reliés à celle-ci par un bras, sur un ou deux côtés (pirogues à balancier simple ou double).

Les pirogues monoxyles sont des bateaux creusés dans un seul tronc d’arbre. Les plus anciennes datent du 8e millénaire avant notre ère (Mésolithique). Elles sont les seules épaves de bateaux préhistoriques découvertes par les archéologues. Leur conservation s’explique par leur imposante masse de bois qui ne se décompose pas si facilement lorsqu’elles sont immergées en terrain gorgé d’eau pendant des milliers d’années, les protégeant de l’oxygène, de la lumière, des champignons et des insectes.
Sur plus de 3 500 épaves monoxyles connues actuellement en Europe, seules 600 ont été datées et les pirogues préhistoriques n’en représentent qu’une cinquantaine. Les autres sont plus récentes, la majorité remontant au Moyen Âge ou aux Temps modernes.

Exemples d’embarcations (2/2)

Les bateaux de peaux

Au travers des ÂGES

Les bateaux plus complexes (exemples contemporains : curragh – Irlande, umiak – Alaska)

Ils sont faits de plusieurs peaux cousues et ajustées sur un cadre préassemblé. Selon les ressources locales, les peaux et le matériel pour la couture étaient prélevés sur des animaux terrestres ou marins, et des bois légers (saule, noisetier) ou os de baleine étaient utilisés pour fabriquer l’armature. L’étanchéité de la peau était assurée par un graissage régulier, celle des coutures par un calfatage (rembourrage) de laine et goudron naturel.

De grands bateaux en milieu marin

Les umiaks d’Alaska, en charpente de bois flotté recouvertes de peaux de morse ou de phoque, autant destinés aux transports familiaux qu’à la chasse aux mammifères marins, pouvaient atteindre de 10 et jusqu’à 20 mètres de longueur. En Europe, il semble qu’il a existé des grands curraghs de mer, dès l’âge du Fer (800 / 52 ans avant notre ère) et jusqu’à la période Moderne.

Sur les eaux intérieures, leur structure légère, beaucoup moins lourde que celle d’une pirogue de taille équivalente, permet à la fois de remonter plus facilement à contre-courant et de transporter aisément l’embarcation pour une mise au sec ou pour un portage de transit. Ils sont donc nettement plus navigants que les pirogues, bien que plus fragiles. Leur largeur souvent supérieure à 1m, en font par ailleurs d’excellents bateaux de transport.
Cette tradition de construction serait donc parfaitement compatible avec les ressources disponibles dans l’environnement, la technologie, l’outillage et l’économie des premières sociétés humaines de l’Europe atlantique. Les bateaux peuvent être relativement vite construits et facilement réparables ; ils s’insèrent bien dans une économie de petite production ; ils peuvent être utilisés à partir d’aires d’échouage.
Il est donc très probable qu’ils aient été utilisés en complément des pirogues monoxyles, voire même avant elles.

Ces embarcations légères, mais parfaitement efficaces dans tous les milieux nautiques, étaient encore répandues dans le monde entier au siècle dernier. Les exemplaires connus descendent sans aucun doute de traditions préhistoriques, malheureusement les perches de bois et les peaux utilisées pour leur construction sont des matériaux très périssables et nous n’en avons aucune trace archéologique.
Les plus simples de ces embarcations sont constituées d’une unique peau de bovidé recouvrant une armature légère en bois. Les coracles, encore très répandus au Pays-de-Galles (mais maintenant revêtus de toiles goudronnées), en sont les derniers témoins européens. Ils correspondent plus à une utilisation individuelle de pêche et de traversées de cours d’eau qu’à un véhicule de transport à moyenne ou longue distance.

Les secrets des premiers navigateurs

Les archéologues mènent l’enquête

L'archéobotanique

Cette discipline permet de connaître les ressources végétales disponibles dans l’environnement. L’analyse des pollens (palynologie) et des charbons de bois (anthracologie) offre de précieuses informations. Une fois l’environnement reconstitué, il est possible de savoir quelles essences d’arbres et quels animaux étaient présents pour offrir des matières premières nécessaires à la construction des embarcations.

Les technologies préhistoriques

Au cours de la Préhistoire, l’outillage évolue.
Au Paléolithique récent, les constructeurs d’embarcations disposent d’un outillage efficace pour couper des perches et travailler les peaux d’animaux. Les aiguilles à chas et les poinçons en os permettent de les coudre et de les assembler. Au Néolithique, les outils de travail du bois découverts sur certains sites archéologiques témoignent d’une grande diversité : haches, herminettes, ciseaux, coins et merlins.

L'ethnoarchéologie

Les données issues des fouilles peuvent être comparées aux pratiques et productions matérielles de populations traditionnelles contemporaines, y compris les sociétés paysannes européennes pré-industrielles.

Une approche socio-économique

Il faut penser ces embarcations en fonction de nombreux critères : ressources disponibles, savoir-faire des constructeurs, outillage utilisé. Le type d’usage attendu (transport de marchandises, par exemple) et le milieu d’évolution de l’embarcation (mer, cours d’eau calme ou rapide, lac, …) influenceront aussi les choix retenus.

La dendrochronologie

Grâce à la dendrochronologie, les pirogues où suffisamment de matière a été conservée, ont pu être datées, certaines à l’année près, comme en Suisse dans les lacs alpins ou en France dans la Grande Brière. Mais, comme cette méthode repose sur l’étude du rythme de croissance des arbres à la manière d’un “code-barre” et que l’évidage d’un tronc suppose l’enlèvement de bois, donc de cernes de croissance, il est souvent difficile de la mettre en œuvre. En revanche, elle permet aussi d’évaluer le type d’arbre sélectionné (arbre de futaie dense ou claire, section d’origine, défauts du bois…) et potentiellement, le lieu où l’embarcation a été produite grâce au signal dendrochronologique propre à chaque espèce d’arbres, à chaque région et à chaque période.

Comprendre

Fabriquer une pirogue

1 : L'abattage de l'ARBRE

Il se fait à la hache en pierre au Néolithique. Pour le Mésolithique, où ce type d’outil n’existe pas, c’est plus énigmatique ; on peut imaginer une coupe au silex brut peut-être complétée par une sape au feu ? Le travail de tronçonnage consiste à couper ensuite l’autre extrémité de l’arbre pour disposer du tronc qui servira à réaliser la pirogue.

2 : L'écorçage de l'arbre

On utilise des piquets taillés en pointe pour soulever l’écorce, mais on peut également travailler à l’herminette en pierre ou avec des écorçoirs en bois de cerf. Ce travail permet de bien déterminer quelle partie de l’arbre constituera le fond de l’embarcation et où démarrer le creusement de la pirogue.

© : P. Rouzo, Inrap.

3 : L'enlèvement du tiers supérieur

On utilise des coins en bois. L’objectif est d’amorcer, avec des bois de cerf, les premières fentes pour pouvoir y insérer les coins qui vont soulever de grandes planches sur toute la longueur du tronc, si le fil du bois est bien droit. A ce stade, la hauteur des bords de la pirogue est déterminée.

4 : Le creusement de la cuve

Quatre méthodes sont utilisées de manière complémentaire :
– l’utilisation d’outils de pierre,
– l’utilisation d’outils en bois de cerf,
– l’utilisation de coins en bois.
– l’utilisation du feu.

5 : extérieurs et finitions

La poupe et la proue sont façonnées à la hache et à l’herminette. Pour la finition, l’intérieur de la pirogue peut être brûlé pour enlever les marques faites par l’usage des outils de pierre et régulariser le fond de l’embarcation.

6 : Mise à l'eau

Une fois achevée, le comportement de la pirogue peut être testée avec un équipage. Des tests peuvent être réalisés pour évaluer les capacités de chargement.